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Introspection de Ma Dona : Naitre à 60 ans

Naître à 60 ans

Naître à 60 ans

Mon papa était un père violent. Dans le sens qu’il tapait les enfants. Il les tapait pour des raisons infimes, genre ne pas boire sa tasse de lait dans un bar sous prétexte qu’il est trop chaud. Enfin, surtout moi, des trois. J’ai l’habitude de dire : mon petit frère, il pleurait au premier coup reçu, ça arrêtait l’élan de violence, ma sœur, elle rigolait quand il s’approchait, ça tuait tout envie de taper. Moi, j’attendais les coups, l’un derrière l’autre, sans broncher, ce qui avait le don de l’exaspérer encore davantage.

Introspection de Ma Dona : Naitre à 60 ans
Ma Dona, directrice générale FRANCE et styliste chez Kroskel

Donatella Pavolini

PDG France et Styliste

Il pouvait taper aussi mon cousin, parce qu’il ne savait pas bien conjuguer les verbes latins, il ne faisait pas de distinction entre ses enfants et ceux des autres. Si je raconte ça, au grand dam de ma maman qui aurait voulu qu’on efface purement et simplement ce côté obscur de son mec, ce n’est évidemment pas pour en faire les louanges. Je veux bien en écrire une fois ou l’autre mais pas maintenant.

 

Maintenant, je veux juste souligner qu’à l’aube de ses cinquante ans, ça s’est arrêté. D’un coup. J’ai reçu mon dernier aller-retour quand j’avais 23 ans (ça marque quand même) parce que je n’avais pas envie de faire la conversation au petit déjeuner, puis plus rien. Les gens qui l’ont connu après, n’ont jamais pu croire qu’il avait pu être violent. C’était un autre homme. Il est devenu un excellent ami de mon frère, même si de son côté mon frère ne s’est jamais confié à lui jusqu’au bout, le passé ayant laissé une trace bien profonde. 

 

Moi, je suis du genre super en retard en ce qui concerne les évolutions personnelles. Pour dire, j’ai été anorexique à plus de vingt ans, alors que l’âge moyen doit être autour de 14/16. Je veux dire par là que je ne suis pas un modèle standard, mais j’ai mon expérience et je la partage. Je pense pouvoir dire que je n’ai pas été un « adulte », dans le sens de prendre ses responsabilités, restant très longtemps entre un âge mental de 5 ans (5 ans et demi, selon ma maman, précisément) et une adolescence qui a commencé tard mais qui s’est étalée sur plusieurs décennies. Du point de vue scolaire, pas trop de soucis, dans le sens que j’apprenais ce qu’il fallait pour continuer sans me faire bousculer ou presque, mais avec des bulletins très moyens. Du point de vue social, vraiment très très en retard partout. Je vous passe les détails. 
Pourquoi je raconte tout ça ? Parce qu’à l’aube de mes soixante ans (dix ans de retard même par rapport à mon père, qui n’était pas une flèche dans le domaine non plus) je pense qu’on peut m’accorder que j’ai changé. Que s’est-il passé dans ma vie ?  

 

J’ai eu, comme beaucoup de gens de ma génération, une vie préservée de chômage et d’inquiétude par rapport à trouver un boulot, une « carrière » sans trous, et j’ai changé de profession vers 40 ans : 18 ans chercheuse en physique plus ou moins théorique, 18 ans maîtresse d’école. A 60 ans, j’ai arrêté de travailler « dehors » et j’ai eu le temps de … je ne sais pas de quoi faire. Peut-être regarder dans le rétroviseur, peut-être écouter ce que les autres me disaient depuis toujours, peut-être encore ouvrir ma tête et lâcher (un tout petit peu) prise. Le peu qu’il fallait pour me rendre compte que je pouvais fonctionner différemment. Je suis restée la personne d’avant, la même « Entité », mais quelque chose dans les rouages a changé vraiment, j’ai mis un peu d’huile peut-être, ou un peu de sourire, je n’ose pas dire « légèreté ». Je ne suis, je l’ai déjà écrit, pas du tout mais alors pas du tout un modèle standard, ni un modèle tout court, mais l’expérience me dit que ce qui m’arrive, en général arrive aussi à d’autres. Ce changement de profession (on pourra en parler une autre fois si ça vous intéresse) au milieu de la durée d’une vie de travail, par exemple, est classique chez un tas de gens. Se chercher à l’adolescence, aussi, c’est banal (même si chez moi ça a duré plus que chez d’autres). J’ai comme dans l’idée que ce virement qui a changé l’approche extérieure de mon papa et le mien arrive aussi à d’autres, à des âges variables. Bon, certaines n’en ont pas besoin, elles font ce travail sur elles-mêmes depuis la nuit des temps. Pour les « lentes » comme moi, il a fallu un déclic, ou une disponibilité mentale qui n’était pas là « avant » et qui l’a été « après ». Il y a des facteurs contingents qui ont laissé une petite porte ouverte, mais je ne crois pas que ça soit l’essentiel.  

 

Pour moi, la manif du 11 janvier 2015 a été un déclic, c’est sûr. Si je dois mettre le doigt sur quelque chose, je dirais : la certitude que l’être humain est essentiellement bon et qu’il peut rester l’altruiste qu’il est à la naissance vient de cette manif incroyable. Ce n’était pas ma première manif, hein. Je suis née en 1956, j’étais déjà dans les rues à 14/15 ans. Mais une manif comme ça, je n’en ai jamais vue. On aurait dit presque une fête, alors qu’on était devant l’horreur absolu. 

Suite à cette manif, j’ai bougé. Je suis allée voir ailleurs. Et ce que j’ai vu m’a interpelée. Je n’ai pas « voulu » changer, mais les faits sont là (je crois). Je ne réagis plus comme avant. Non pas que mes excès d’exigence aient disparu, non non. Mais je sais « voir » que ma réaction n’est pas correcte, je sais me repositionner si je m’égare, je sais m’arrêter et analyser mon comportement. Quand je dis « je sais », c’est un peu faux, bien sûr : je devrais dire plutôt « j’apprends à ». Mais je suis sur le chemin (prochain article), c’est déjà ça, je trouve. La personne « pas modèle standard » que je suis a peut-être sauté l’étape « adulte » pour se positionner directement dans l’étape « vieille » ? Je l’ignore. C’est moins confortable que l’attitude assurée de l’adolescente que j’étais jusqu’à avant-hier, je suis habitée par le doute, maintenant, mais j’aime bien ce que je suis devenue (ok : en train de devenir, si vous préférez).  

 

Alors, est-ce une naissance ? une renaissance ? un revirement ? la peur de mourir ? une lassitude à demeurer toujours l’intègre qui ne bouge pas d’un poil, l’empêcheuse de tourner en rond ? Je ne le sais pas. Je sais que je suis sur le chemin (prochain article, donc), et que d’y être ça me convient parfaitement.  
Suis-je la seule dans ce cas ? Ne vous privez surtout pas de partager votre point de vue ! 

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