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Sur le chemin

Sur le chemin

Cette expression est rentrée dans mon lexique personnel depuis mon parcours sur ce qu’on appelle communément le « chemin de Compostelle ». Je l’ai entamé en 2020, deux jours après que les limitations à 100 km autour de chez soi en France (COVID19 obligeant) aient été abandonnées. J’ai parcouru plus de 1500 km en 7 semaines.

Ma Dona, directrice générale FRANCE et styliste chez Kroskel

Donatella Pavolini

PDG France et Styliste

Naître à 60 ans

Temps de lecture : 2 minutes

Couture : tout savoir sur les encolures et cols

Temps de lecture : 5 minutes

Sur le chemin de Compostelle 

J’ignorais à l’époque que je n’« allais » pas à Compostelle, mais que, tout simplement, je me mettais « sur le chemin » vers Compostelle.  

Au vu de la période bizarre du début de mon cheminement, personne ne le parcourait en même temps que moi, ni d’ailleurs personne ou presque n’était là pour m’accueillir : j’étais seule, avec Lola, ma chienne d’amour. Au bout de quelques semaines, les gens se libérant du poids de ce qu’elles avaient vécu, de cette privation absurde de liberté à laquelle on a toutes et tous ou presque cédé sans broncher, les choses se sont améliorées de ce point de vue et j’ai pu d’une part dormir ailleurs que dans ma petite tente et d’autre part rencontrer des gens. Bon, pas beaucoup, hein. Tellement peu, que le dernier jour toutes celles et tous ceux qui se trouvaient à une journée du « but », toutes et tous autant que nous étions, avons décidé de faire ce dernier jour de marche ensemble : ça faisait une vingtaine de personnes à peu près ; j’étais de très loin la plus vieille.  

 

En premier plan, ma douce compagnonne de voyage, Lola chérie, derrière, la de loin plus vieille c’est bien moi.
En premier plan, ma douce compagnonne de voyage, Lola chérie, derrière, la de loin plus vieille c’est bien moi.

Laurence m’avait préparée à l’émotion de cette arrivée, je n’y ai pas cru, j’avais tort. C’était une très grande épreuve émotionnelle. Mais je m’égare. Certes, nous serions arrivées à 2000 comme prévu par le quota quotidien habituel, je ne suis pas sûre que j’aurais ressenti les choses si fort. 


Quand on décide d’aller à Compostelle, on a bien sûr une idée dans la tête. Si pour moi c’était « les spirales », pour Andrès le colombien c’était un hommage à sa cousine, pour Jonathan le vénézuélien accompagner Andrès, pour Celia la basque prendre l’air après le Covid, … Cependant, personne, « sur le chemin », vous pose la question du « pourquoi » : on se demande réciproquement d’où l’on vient, c’est tout. Il n’y a que les gens qui restent au bord, de ce chemin, pour vous demander « pourquoi ». D’ailleurs, au bout de quelques temps, nous n’arrivons plus à donner une réponse à cette demande. On est parties avec une envie, et puis… on s’est retrouvés sur le chemin. 

 

Pourquoi se retrouve-t-on « sur le chemin », donc ? 

Je ne sais pas vous, mais moi j’adore marcher. Là aussi, comme dans d’autres domaines, ma manière de pratiquer a évolué au cours du temps. Enfant, je marchais sur les pas de mon père, des longs pas, des marches qui me paraissaient interminables (parce que je ne les avais pas choisies et que j’ai toujours eu un problème de souffle en montagne – eh oui, pour mon père « marcher » ça voulait dire « marcher pour aller en haut d’une montagne »). Puis est venue l’époque où, plutôt que de prendre les transports publics – sans relation avec les consommations d’énergie, ce n’était pas l’époque, je suis de la génération où tout était gratuit : l’énergie, l’eau, le travail – je préfèrerai la marche à pied. Je soutenais alors que je préférais marcher « en ville », voir les gens, les immeubles, plutôt que dans la « nature ». Puis, comme marcher n’était pas assez dense pour moi, j’ai entrepris de lire en même temps. Oui, pour de vrai. J’aimais la sensation de mettre mon corps en mouvement et « en même temps » (franchement, c’est abusé que de dire que c’est une invention de Macron, cette expression !!! C’est une expression que toute boulimique d’activité connait depuis toujours !!! Enfin, passons) … cette sensation donc, d’être en mouvement et en même temps continuer la lecture chérie que j’avais en cours en ce moment. Je l’ai beaucoup pratiqué en toute occasion, même en faisant le « tour du lac » dans notre vallée chérie du Vercors : rien voir, rien entendre, rien sentir autour de moi, juste des jambes qui marchent et des yeux qui lisent : le comble de plaisir.  

J’ai toujours aimé marcher, donc, d’une manière ou d’une autre.  

 

La marche et Compostelle 

Quand on se met sur le chemin de Compostelle, on ne marche pas qu’un peu. On marche beaucoup et surtout on marche tous les jours, plusieurs heures par jour. De plus, on marche sur un chemin qu’on ne connait pas, donc impossible de faire autre chose que d’y être. 

Alors on se met en route, et on avance. On peut avoir un peu d’angoisse à l’idée de s’égarer, de se tromper, de ne pas trouver à manger, pas trouver un endroit où s’installer, … On reste vigilant. Puis, avec le temps qui passe, l’angoisse s’estompe, on se distrait. On écoute son corps, on sent une petite douleur ici, une petite envie de manger, ou de boire, ou de se soulager, ou de se reposer. Puis, avec le temps qui passe encore, et je jure que c’est vrai, on ne sent plus rien de tout ça. Ni l’angoisse, ni le corps qui se manifeste, et là, simplement, on y est : on est sur le chemin.  

 

Ça veut dire quoi, « être sur le chemin » ?  

Qu’on avance, pas après pas, et qu’il n’y a rien d’autre à prendre en compte. Alors, le corps se libère de ses passions, la tête se libère de ses élucubrations et l’esprit peut s’envoler. Du coup, on voit. On voit l’extérieur à soi : la nature, mais aussi l’œuvre de l’être humain qui, par ailleurs, fait aussi partie de la nature (OK, passons), les éléments fondamentaux qui la composent, eau, air, terre, feu. On voit aussi l’intérieur à soi : puisqu’on est en paix avec le corps et avec la tête, l’esprit est libre de planer. Toute réflexion est ouverte avec notre meilleur interlocuteur, le plus aimant et aussi le plus dur : soi-même. Mais ce sont des réflexions ponctuelles, comme des petits nuages dans un ciel bleu, des réflexions sans suite. On les voit passer, on ne peut pas s’y accrocher ni y fédérer d’autres réflexions. On peut seulement les voir passer, précises et rapides. Parce que nous sommes seulement sur le chemin pour Compostelle, rien de plus, rien de moins. 

Bon, OK, je devrais parler pour moi, je ne sais pas vraiment comment ça se passe pour le reste du monde. Pour moi, ce détachement de mon corps et de ma tête s’est opéré un jour (et vous avez compris que ce n’est pas rien, qu’est-ce qu’elle est encombrante, ma tête !). Je ne dis pas qu’on y oublie les ampoules, les entorses, la faim ou l’envie de faire pipi. Elles sont là, mais comme des visiteuses, pas comme des montagnes à franchir. Quand je suis « sur le chemin », je peux me laisser aller sans craindre d’être submergée ou dépassée par mes pensées. Ce n’est pas « le bonheur », cet état que je ne connais pas (j’ai coutume de dire que ça n’existe pas, mais je ne veux pas en discuter aujourd’hui). C’est un état un peu comme quand on dit « lâcher prise ». Je suis là, mais rien n’est pesant.  

Voilà, mes premiers pas « sur le chemin » je les ai faits vers Compostelle. Il y a un détachement semblable du corps et de la tête : je l’ai connu et connais dans le peu de méditation que j’ai pratiqué depuis que le COVID nous a bloqué dans nos maisons et bien sûr aussi dans ma pratique du Tai Chi. Mais, dans un cas comme dans l’autre, je ne me suis pas sentie sur un chemin particulier, je n’avais pas véritablement un but vers lequel tendre. En allant vers Compostelle, si. Il y en a probablement pour lesquels méditation zazen ou tai chi peuvent être des chemins. Pas pour moi. C’est un fait. 

Mais ça fait quoi, alors, d’être sur le chemin ? 

En ce qui me concerne, c’est en particulier le fait d’abandonner toute perspective qu’il soit un jour abouti. Bien sûr, je suis arrivée à Compostelle (Santiago est une des villes le plus abimées par le tourisme et par une architecture qui de toute manière ne me fait pas rêver, c’est clair : disons-le : moche). Mais le chemin, lui, n’était pas « fait ». Il était « fini », avait atteint l’arrivée, mais pas le bout. On voit ici une grande différence avec les « voyageurs » : à un moment donné, leur voyage s’arrête, il est achevé. Un « cheminant » du chemin de Compostelle, ou d’ailleurs du reste, cheminant avec son corps ou pas, est plutôt une ou un « viandante » qui en italien signifierait celle et celui qui va sur la voie, qui s’en va, qui va à la venture, ce que les français traduisent de manière très inexacte au mieux par « pèlerin ». Un chemin initié n’est pas « achevé ». On peut le reprendre plus tard, retourner sur le même parcours, sur un autre parcours avec la même destination, ou bien même trouver une autre destination (pour ma part j’ai très très envie de me mettre sur le chemin qui fait le tour des 88 temples sur l’Île de Shikoku au Japon, par exemple).  

Le chemin commencé au sud de Nantes et qui m’a conduit seule jusqu’à Santiago de Compostella, nous a conduites beaucoup plus tard sur une voie sarde qu’on s’est un peu inventées, ma fille Elisabeth et moi. Pour moi ce n’était qu’une continuation du premier. Mais peut-être pas, d’ailleurs, ça n’a pas vraiment d’importance. Ce chemin-là, nous l’avons parcouru côte-à-côte. C’était une très belle expérience, avec soi-même et avec l’autre qui dans mon cas était ma fille. Mais ça, c’est une autre histoire. 

Pour quelle raison, alors, se mettre « sur le chemin » ? 

Être sur le chemin est pour moi avoir pris une direction, un point de vue, une façon d’envisager les choses, et de poursuivre dans cette optique aussi loin que les forces nous le permettent. Ce genre de chemin n’a pas de fin, puisque le « but », en lui-même, est selon toute probabilité inatteignable, mais peut se poursuivre aussi longtemps qu’on le veut. 

Vous l’avez sûrement compris, le chemin vers Compostelle n’est qu’un exemple de chemin. Il y a toute sorte de chemin, en vrai. Ce n’est pas la peine de se mettre en route, si marcher, ou faire du vélo, ou autre système de locomotion ne vous convient pas. Être sur le chemin on peut le faire en restant sur sa chaise comme je le suis en ce moment. On se donne un chemin qu’on a envie de parcourir, et on y va. On peut par exemple se dire qu’on va écrire un roman, ou bien construire un lit en carton, ou devenir styliste de mode, que sais-je ? Si on arrive à se mettre sur ce chemin, et à avancer, pas après pas, c’est qu’on est bien sur le chemin. Au bout d’un temps, on peut regarder en arrière, voir le chemin parcouru, peut-être même se dire d’une part qu’on en a marre, d’autre part qu’on n’a pas du tout fini, que le lit est encore très bancal ou le dessin très approximatif et les idées pas très claires derrière. Ce n’est pas important : vous avez été « un temps » sur votre chemin, et ça c’est magique. C’est quelque chose qu’on porte avec soi. Qu’on peut essayer de partager mais qui en tout cas vous a fait avancer. Oui, certes, c’est un chemin sans fin et vous n’avez pas acquis richesse et fortune. Vous vous connaissez un peu mieux, et vous avez peut-être un peu plus plaisir à être avec cette personne sommes toutes extraordinaire que vous êtes. 

The tramp – Charlie Chaplin connaissait très bien cette valeur du chemin qu’on prend sans savoir où on va exactement
The tramp – Charlie Chaplin connaissait très bien cette valeur du chemin qu’on prend sans savoir où on va exactement

 

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